Ce n’est pas un hasard si le nouveau programme lunaire de la NASA porte le nom d’Artémis, sœur jumelle d’Apollon et l’une des déesses de la Lune dans la mythologie grecque. Car une femme devrait poser le pied sur la Lune en décembre 2025, plus de 55 ans après Neil Armstrong, en 1969. Et après les 11 autres hommes ayant foulé le sol lunaire au cours des divers vols du programme Apollo, qui s’est terminé en 1972.
Le programme Artemis, qui a comme but à long terme la construction d’une base sur la Lune et d’une station spatiale orbitant autour de cet astre, est une étape qui mènera à un exploit plus grand encore : le premier pas de l’humain sur Mars. Des femmes devraient aussi prendre part à cette future mission que la NASA et ses partenaires internationaux espèrent réaliser d’ici la fin de la décennie 2030.
Les agences spatiales visent de plus en plus la parité hommes-femmes — sur les 18 astronautes américains sélectionnés pour participer au programme Artemis, 9 sont des femmes. La plus récente cohorte de l’Agence spatiale européenne est également à parité (huit femmes et neuf hommes). L’Agence spatiale canadienne (ASC) ne compte qu’une femme —l’Albertaine Jennifer Sidey-Gibbons — parmi ses quatre astronautes actifs, mais elle souhaite en avoir davantage, surtout depuis la nomination de Lisa Campbell comme présidente, en septembre 2020. Première femme à occuper cette fonction, elle a mis en place un plan d’action sur l’équité en matière d’emploi, la diversité et l’inclusion.
Cependant, au moment où on s’apprête à envoyer des humains de plus en plus loin dans l’espace, les effets des voyages spatiaux sur l’organisme féminin suscitent encore des questionnements. Les scientifiques savent déjà qu’il est généralement plus sensible aux radiations présentes dans l’espace, ce qui augmente le risque de cancer, mais il reste des zones d’ombre à éclaircir. Car à ce jour, près de 80 femmes seulement ont atteint l’espace, contre plus de 500 hommes. Et celles qui y sont allées ne se sont pas aventurées au-delà de la Station spatiale internationale (SSI), en orbite à 400 km autour de la Terre. Les futures missions vers la Lune, à 384 400 km, bien loin du cocon protecteur qu’offre le champ magnétique terrestre, exposeront les astronautes à des doses plus importantes de radiations.
Puisque le nombre de femmes astronautes est en augmentation, la NASA a besoin de plus de données sur l’effet d’un séjour prolongé dans l’espace sur le corps féminin. Le Centre allemand pour l’aéronautique et l’astronautique, l’un de ses partenaires dans le cadre du programme Artemis, a donc mené une expérience inusitée : lors de la mission inhabitée de 25 jours Artemis I lancée vers la Lune en novembre 2022, le vaisseau Orion a accueilli à son bord deux mannequins, Helga et Zohar.
L’intérieur des deux torses revêtus de textile bleu royal renfermait des matériaux imitant les os, tissus et organes de femmes adultes, ainsi que de nombreux capteurs pour mesurer la quantité de radiations accumulée à chaque endroit. L’un des torses était muni d’une veste de protection contre les radiations cosmiques, tandis que l’autre ne l’était pas. « L’expérience a été conçue pour étudier comment les niveaux de radiations affecteront les femmes astronautes lors d’un vol lunaire complet et pour déterminer les mesures de protection utiles », a souligné le Centre allemand pour l’aéronautique et l’astronautique lors du lancement.
À l’heure actuelle, les paramètres de sécurité en matière de radiations qui s’appliquent aux astronautes ne sont pas les mêmes pour les hommes et les femmes. La NASA limite par exemple la durée de séjour dans l’espace de tous ses astronautes en fonction de leur exposition cumulative aux radiations. La dose à laquelle les femmes peuvent être exposées est moindre que celle de leurs collègues masculins, en raison de leur risque de cancer plus grand, notamment en ce qui concerne le cancer du sein, de l’utérus ou des ovaires. Un long séjour dans l’espace pourrait également diminuer les réserves ovariennes de moitié.
Les données récoltées par Helga et Zohar seront utilisées pour offrir toute la protection nécessaire à l’astronaute américaine Christina Koch. Il est en effet déjà établi que cette habituée de la SSI sera la première femme de l’histoire à quitter l’orbite terrestre, puisqu’elle fera partie de la mission Artemis II en novembre 2024. Ce vol spatial (auquel participera le Canadien Jeremy Hansen) constituera une répétition générale en vue de l’alunissage prévu pour l’année suivante.
Plus les missions seront longues, plus le problème des radiations se posera également pour les hommes, fait remarquer Kumudu Jinadasa, ingénieure et responsable du programme Astronautes, sciences de la vie et médecine spatiale à l’ASC. Les connaissances acquises à ce sujet et les équipements de protection testés leur serviront donc aussi.
Le travail effectué en ce moment par la NASA et ses partenaires évitera les déconvenues comme celle vécue par Christina Koch en mars 2019, lorsque la première sortie spatiale entièrement féminine, qu’elle devait réaliser en compagnie de sa compatriote Jessica Meir, avait été annulée in extremis. La raison ? Il n’y avait pas suffisamment de scaphandres de la bonne taille à bord de la SSI pour que les deux femmes puissent « marcher » dans l’espace en même temps…
« Les femmes ont longtemps été vues comme un problème dans l’exploration spatiale, parce qu’on se disait que les toilettes n’étaient pas adaptées pour elles ou que les combinaisons étaient trop grandes. On devrait plutôt se demander comment faire pour que tout le monde, homme, femme, personne trans, puisse aller dans l’espace », dit Stefanie Ruel, professeure de management à l’Université du Cap-Breton, qui s’intéresse aux questions de diversité et d’équité hommes-femmes dans le domaine des STIM (sciences, technologies, ingénierie et mathématiques), après avoir été gestionnaire de mission à l’ASC de 2001 à 2016.
Née en pleine guerre froide, l’aérospatiale a historiquement été dominée par le secteur militaire, et les premiers astronautes étaient sélectionnés parmi les pilotes de chasse et les pilotes d’essai, deux chasses gardées masculines, rappelle-t-elle. La première femme dans l’espace, la Soviétique Valentina Terechkova, a fait un vol en orbite autour de la Terre dès 1963, à peine deux ans après le vol historique de son compatriote Youri Gagarine. Mais c’était l’exception. Il a fallu attendre les années 1980 avant que la présence des femmes dans les missions spatiales devienne plus courante, et 1999 avant qu’une première femme commande une mission.
Selon le dernier décompte du Bureau des affaires spatiales des Nations unies, les femmes ne représentent encore que 11 % des astronautes à l’échelle mondiale, et 20 % de la main-d’œuvre dans l’aérospatiale.
Parmi les neuf astronautes canadiens à avoir volé dans l’espace, seulement deux étaient des femmes : Roberta Bondar (1992) et Julie Payette (1999 et 2009). « La sélection des astronautes est un processus hyper-sélectif », souligne Olivier Hernandez, astrophysicien, directeur du Planétarium de Montréal et cofondateur de l’Institut de recherche sur les exoplanètes (iREx). « Il faut être ingénieur, pilote de chasse, médecin ou astrophysicien avant même d’être sélectionné. Et ce sont pour la plupart des domaines encore largement masculins. »
L’Agence spatiale canadienne « a vraiment essayé d’encourager la participation des femmes » lors de ses deux dernières campagnes de recrutement, en 2008 et 2016, affirme Edward Tabarah, chef du corps des astronautes canadiens. Notamment en ciblant le secteur de la santé, où elles sont plus présentes. Sur les 3 772 candidatures pour devenir astronaute reçues en 2016, les femmes représentaient une proportion de 24 %.
L’ingénieure Kumudu Jinadasa, de l’ASC, est confiante pour la suite : « Je n’aurais jamais imaginé voir une femme sur la Lune quand j’ai commencé dans ce domaine. Ça pourrait bien inspirer d’autres vocations. »
Bibliographie :
Le torchis, mode d’emploi.,Lien sur la description complète.
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